Préface des Éditions de Londres

Le « Paradoxe sur le comédien » est un dialogue sur le théâtre écrit par Denis Diderot entre 1773 et 1777, mais qui ne paraitra qu’en 1830.

Dans cet essai écrit sous une forme dialoguée, Diderot prend le contrepied de ses contemporains en prétendant que le grand acteur est celui qui feint l’émotion plutôt qu’il ne la ressent. « Plus on sent, moins on fait sentir » prétend-il. En dehors des considérations intéressantes sur les techniques de théâtre, le « Paradoxe » est un document passionnant sur le théâtre du milieu du dix-huitième siècle.

« Si le comédien était sensible, de bonne foi, lui serait-il permis de jouer deux fois de suite un même rôle avec la même chaleur et le même succès ? »

« L’acteur est las, et vous tristes ; c’est qu’il s’est démené sans rien sentir, et que vous avez senti sans vous démener. S’il en était autrement, la situation du comédien serait la plus malheureuse des conditions ; mais il n’est pas le personnage, il le joue et le joue si bien que vous le prenez pour tel ; l’illusion n’est que pour vous ; il sait bien, lui, qu’il ne l’est pas.»

Ici, on découvre un lien Diderot-Stendhal lorsqu’il parle de Shakespeare, ce dont on se doutait puisque Stendhal appartient aussi au dix-huitième siècle : « …ce Shakespeare, que je ne comparerai  ni à l’Apollon du Belvédère, ni à l’Antinoüs, ni à l’Hercule de Glycon, , mais bien au saint Christophe de Notre-Dame, colosse informe, grossièrement sculpté, mais entre les jambes duquel nous passerions tous sans que notre front touchât à ses parties honteuses. »

« Plus les actions sont fortes et les propos simples, plus j’admire. »

« Quoi qu’il en soit, je désirerais que vous n’allassiez à la représentation de quelqu’une des pièces romaines de Corneille qu’au sortir de la lecture des pièces de Cicéron à Atticus. Combien je trouve nos auteurs dramatiques ampoulés ! Combien leurs déclamations me sont dégoûtantes, lorsque je me rappelle la simplicité et le nerf du discours de Régulus dissuadant le Sénat et le peuple romain de l’échange des captifs ! C’est ainsi qu’il s’exprime dans une ode, poème qui comporte bien plus de chaleur, de verve et d’exagération qu’un monologue tragique… »

On dirait du Stendhal

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